Quand le jardin tourne au vinaigre

Depuis l’annonce de l’interdiction des produits phytosanitaires par réglementation (loi Labbé), nombreuses sont les personnes à rechercher une solution pouvant être aussi efficace que les désherbants chimiques. Beaucoup ont pris conscience que des produits à base de «néonicotinoïde » ou «sulfoximine» ou tout autre produit de synthèse ont un impact sur l’environnement et la santé.
Il est donc normal de penser que les produits dit « naturels » sont une réponse viable.  Alors chacun y va de sa petite recette de cuisine. Mais naturel ne veut pas dire sans danger.

Je mettrai en avant l’exemple de l’huile de Neem.  Cette huile est issue du pressage des fruits (graines) du Margousier (Azadirachta indica). La substance active est l’azadirachtine et possède des propriétés insecticides, fongicides, vermifuges ou même fertilisantes. Pourtant nous avons là un perturbateur endocrinien naturel, toxique pour l’homme en ingestion ou par simple contact  (classification R 63 – substance génératrice de risque possible pendant la grossesse, ou ayant un effet néfaste sur l’enfant, aujourd’hui devenue classification H361d, ou substance susceptible de nuire à la fertilité ou au fœtus) et potentiellement responsable de dégénérescence dans les populations de butineurs. En clair c’est naturel, efficace, mais terriblement dangereux.

Une des recettes fortement plébiscitée et utilisée du particulier au professionnel est le fameux mélange « Sel/Vinaigre ». Ce mélange soi-disant purement écologique a même droit au chapitre dans les magazines, comme étant une des dix supers recettes qui vont vous sauver la vie au jardin. Voilà encore une information à mesurer. Seul ou en mélange, le vinaigre est efficace, et chacun y a vu la possibilité de traitement pour son petit pied de mur ou son allée. Mais voilà, son usage à des fins de désherbage est lui aussi interdit, enfin presque…

En clair, le vinaigre n’est pas vendu pour cela et il fait parti des produits ménagers à usage « ménager ». La législation autorise son utilisation en « base » entrant dans le panel réglementé de fabrication des Produits Naturels Peu Préoccupant (PNPP). Mais à part certains purins, vous ne pouvez pas les fabriquer vous-même. En milieu agricole, conformément au règlement européen n°2015/1108 du 8 juillet 2015. Il peut également servir pour éliminer les bactéries et champignons présents dans les graines. Pour toute autre utilisation il est classé produit « Phytopharmaceutique » et de ce fait interdit pour le traitement des sols.

Mais allons un peu plus loin. Dans les PNPP le vinaigre ne constitue qu’une petite partie du dosage de produit final, à contrario, désherber au vinaigre, c’est souvent l’utiliser pur. La différence est de taille.  Surtout lorsque l’on voit certaines collectivités territoriales généraliser cette pratique. Un apport important d’acide acétique ne tue pas que l’adventice, mais également toute la micro et macro faune qui l’entoure. Une recette préconise même de chauffer le vinaigre, ce qui provoque l’évaporation d’une partie de l’eau, augmentant sa concentration en acide. Couplé à la forte chaleur, vous obtenez un produit redoutablement nocif pour notre environnement. Je vous laisse imaginer l’impact de cette pratique à grande échelle et pourtant ce n’est que la moitié de la recette dont nous parlions au départ (Vinaigre/Sel).

Maintenant ajoutez donc le sel. Ce dernier modifie également la chimie du sol, mais plus durablement. Il exerce une pression importante sur les milieux. Il sature les sols empêchant toute vie. En raccourci le sel « stérilise ». Les Guerres Puniques en 146 av.J.-C en sont un bon exemple. Les Romains auraient répandu du sel sur toutes les terres de Carthage avant de la brûler, s’assurant ainsi que rien ne pourrait plus y vivre, ni hommes, ni végétation, rien…

Non seulement vous impactez votre sol, mais aussi celui des autres. Aujourd’hui il faut également compter sur l’érosion des sols et le transport des sels minéraux en quantité abondante dans les eaux de ruissellement. Pas seulement en hiver lorsque l’on sale nos routes, non, nous avons maintenant des épisodes de pluviométrie extrême toute l’année. La conséquence est directement visible dans nos champs de cultures irrigués. L’eau est directement pompée dans des réserves naturelles comme les rivières où se sont déversés tous ces sels d’origines diverses (enfin principalement due à notre activité). Ajoutez-y en touche finale les sels de synthèses utilisés en amendement pour enrichir les sols agricoles; laissez faire le soleil et vous avez un dépôt surabondant ne pouvant être lessivé ou absorbé. Il en résulte une saturation et une stérilisation des terres et ce pour longtemps.

Alors oui, ce mélange n’engendre à priori pas de perturbations endocriniennes et autres maladies comme nous le constatons tous les jours avec d’autres produits. Mais en l’utilisant nous sommes tous perdants car nous devenons un maillon d’une chaîne radicalement destructrice.

Pour conclure laissez votre vinaigre à la maison. Utilisez-le en cuisine avec votre sel.  De temps à autre nettoyez vos vitres ou vos couverts avec, mais limitez-vous à cela.

Pour le reste utilisez le désherbage manuel ou les PNPP (Produits Naturels Peu Préoccupant) et sur de grandes surfaces passez au désherbage thermique ou réaménagez vos espaces en réduisant les surfaces trop apprêtées. La faune et la flore de votre jardin apprécieront le geste.

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